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Essai

Forme et Syntaxe dans Limite

Pour Lécio Augusto Ramos

Moins qu’une analyse de Limite, ceci est plutôt une réflexion autour de quelques caractéristiques formelles de ce film singulier dans l’histoire du cinéma. Au lieu d’une réflexion logique et ordonnée, nous proposons au lecteur un rassemblement d’idées concernant les éléments visuels, narratifs et plastiques du film de Peixoto. Le but de cette étude n’est pas celui de chercher le sens du film: le sens de Limite ne se laisse pas apprivoiser au moyen de la simple analyse formelle. Il se trouve au-delà de la forme, même si le film célèbre cette dernière. Sans la matérialité qui le revêt, Limite n’aurait été qu’une idée, bien qu’extraordinaire, brillante et tragique.

Limite est un bon exemple de ce que l’on pourrait appeler le «cinéma cerveau». Ce film se situe du côté de la conception mentale de l’image et proclame la primauté du logos sur la vision, sur l’image apparente. Le support cinématographique, bien que dominé, se transforme en instrument d’inscription de l’imaginaire dans les images du cinéma.

Deux démarches esthétiques frappent le spectateur de Limite: d’un côté, la forme, marquée par la rigoureuse composition des plans et l’attention portée à la géométrie, aux textures, au jeu d’ombres et de lumières qui matérialise un monde en abîme; d’un autre côté, la syntaxe, riche en symétries et synchronies qui organise l’ensemble de l’oeœuvre.

La forme est presque tout dans Limite: les images sont pourvues d’une texture symbolique, véhicule d’un sens supérieur qui aurait pu exister indépendamment de ces mêmes images. Le film est caractérisé par une grande fragmentation de l’image. Le découpage y est déterminé par le goût du détail. Au lieu de corps entiers, le film nous livre des morceaux de corps, de même que les paysages et les objets ne sont perçus qu’en amorce. Le découpage produit chez le spectateur une sensation de vertige, de décentralisation. Les angles obliques prédominent lorsque la caméra quitte son axe nodal pour établir, avec le sujet du film, une relation diagonale. Limite évite ainsi le rapport perpendiculaire, linéaire de l’objet filmé avec l’horizon, en cherchant constamment le déséquilibre.

De même que la forme, la syntaxe y joue un rôle important. Limite n’est pas la succession de photographies et de tableaux recherchés, mais une suite de plans qui construisent une diégèse autoréférentielle, rigoureusement articulée. Le montage du film est précis, conçu à partir d’un découpage minutieux. Peixoto fait du rassemblement des plans une opération de correspondances, de réitérations d’une construction antérieure qui est de nature mentale (ou textuelle). Mais le montage n’est pas pour autant l’actualisation d’un modèle: dans Limite, il y a une force d’attraction entre les plans, un principe d’analogie ou d’antithèse formelle qui règle l’association des images.

La caméra a une vie dans Limite: elle y joue un rôle essentiel, en inscrivant la subjectivité de l’auteur dans le texte du film. La présence de l’auteur se laisse percevoir dans les mouvements de caméra, dans les recadrages fréquents, dans la mise en place de la caméra à l’intérieur de l’espace diégétique et dans les angles de prise de vue excentriques. Ces derniers configurent une intervention active dans la nature qui est montrée de façon fragmentée, déconstruite, décentrée.

La singularité de Limite ne réside donc pas dans son aspect non-narratif – idée d’ailleurs inadéquate, puisque Limite contient tout de même un faisceau de narrations conceptuelles – mais dans l’articulation rigoureuse entre la composition photographique et le montage. Le film de Peixoto met en harmonie forme et syntaxe, à travers la construction plastique et la cohésion interne entre les plans.

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